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31 mai 2002
EDITORIAL

Ecole et croissance économique:
une relation ambiguë

L'éducation compterait-elle pour beurre dans le développement économique? Pareille question risque déjà de condamner celui qui la pose à l'exil, surtout à Genève, cité des deux Jean, Calvin et Piaget. Et pourtant, si la réponse était oui, voilà qui permettrait de dédramatiser les résultats de la première enquête PISA, du moins pour ce canton qui n'est pas près d'être celui de tout le Lac (1).

En fait, la réponse est non. L'école est essentielle pour la création de la richesse des nations. A une première condition: que la qualité de l'enseignement soit au rendez-vous. C'est le constat que fait aussi un économiste anglais de l'éducation (2).

C'est dire si l'augmentation du pourcentage de jeunes ou de moins jeunes s'astreignant à suivre des cours risque d'être source de désillusion; c'est dire encore si l'ajout d'un crédit à un autre, pour construire des bâtiments ou engager du personnel, ne garantit en rien les résultats de fond. Ni sur le plan des connaissances des élèves qui dépendent tout autant de la formation et de la motivation des enseignants - les chiens ne font pas des chats - que de l'organisation et des programmes de l'école.

Ni sur celui de la croissance économique. Pour deux raisons. La première est que l'école, aussi exigeante soit-elle, n'est qu'une condition nécessaire, mais jamais suffisante, du succès des entreprises et des pays. Son influence est en fait indirecte. La deuxième découle de la loi des rendements décroissants. Un peu de (bonne) formation pour qui en est privé peut faire des miracles; beaucoup de cours supplémentaires donnés à celui qui en a suivi énormément risque de rester sans effet.

Les faits confortent cette approche. De 1960 à la fin du siècle, la Corée du Sud a fait passer le taux de scolarité secondaire de 25% à près de 100% et a triplé le pourcentage d'universitaires; son revenu par tête a crû de plus de 7% par an. De son côté, depuis 1970, l'Egypte a quasiment généralisé l'enseignement primaire, fait passer la scolarisation du secondaire de 32% à 75% et doublé le nombre de ses étudiants. Elle n'a pourtant progressé que d'une place, de la 48e à la 47e, parmi les pays les plus pauvres. Autres exemples: le Zimbabwe compte 85% d'alphabétisés et s'enfonce chaque jour davantage dans la misère. La croissance "météorique" de Hong-Kong ne doit rien à son système d'éducation. Et, "parmi les pays de l'OCDE, quel est le pays qui a le plus bas taux d'étudiants et de diplômés universitaires? La Suisse, le plus riche de tous" (3). Vous avez dit: l'école, condition de la croissance?

En fait, ces corrélations sont pour le moins sommaires. Pour se limiter au cas helvétique, sa position parmi les premiers de la classe économique est en danger. La formation professionnelle vient en l'occurrence d'y faire l'objet d'un sérieux "lifting". Ses universités en sont à se grouper pour constituer des pôles d'excellence. L'adoption d'une aune unique des diplômes, par le biais de la convention de Bologne, est une autre démonstration de l'avènement d'un seul monde. Dans ce pays, l'Est s'y est mis, l'Ouest finira pas s'y faire.

Mais il est encore une autre raison qui explique que, malgré tous les efforts de ses acteurs, le monde de la formation peine à suivre l'évolution du monde économique: c'est tout simplement le caractère imprévisible de l'évolution des connaissances. En 2005, "quatre-vingt pour-cent des technologies auront moins de dix ans alors que quatre-vingt pour-cent des connaissances actives auront été acquises il y a plus de dix ans". Pour l'Unice, la fédération patronale européenne, qui tente cette analyse, la cause est entendue: "Ce déficit en compétences constitue un frein au développement des entreprises, ralentit la croissance et freine l'emploi" (4).

Et pourtant il vaut faire preuve de ruses de Sioux dans la mise en correspondance de l'école et de l'entreprise. Car les auteurs de ces technologies innovantes, où ont-ils trouvé la base de leur raisonnement, la source de leur inspiration? Précisément dans cette école qui ne les préparait pas au monde de demain!

La leçon d'aujourd'hui est donc claire, et pour l'école, et pour ceux qui la fréquentent ou y enseignent, et pour les responsables de l'économie: si la quantité de diplômés ne peut constituer un objectif, la qualité de la formation, notamment de base, ne peut pas davantage suffire. Ou plus exactement, pour qu'elle puisse contribuer à façonner notre futur, il faut lui adjoindre une once d'inventivité. Celle que les humanistes voient aussi dans l'esprit critique. Que l'école peut éveiller, au mieux.

Pierre Weiss

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Notes:

1. Voir l'éditorial d'Entreprise romande du 1er mars 2002.

2. Alison Wolf, Does education matter? Myths about education and economic growth, Penguin, 2002.

3. Knowledge economy fails the test, Financial Times, 25 mai 2002.

4 ."Pour des politiques d'éducation et de formation au service de la compétitivité et de l'emploi, les sept priorités de l'emploi", document élaboré par l'Unice pour le sommet européen de Lisbonne, février 2000.

 

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